CHAPITRE XXXIV
La machine était immobilisée devant une montagne de glace énorme. Gus désespérait d’en venir à bout avant la fin de la nuit. Il devrait peut-être la dynamiter car le laser restait impuissant. Il se demandait si, sous le poids de ce petit iceberg, les rails n’étaient pas tordus. Yeuse dormait sur son siège de copilote mais il ne lui en voulait pas. Allaient-ils périr dans cette solitude, bêtement, sans pouvoir remettre la locomotive en route ? Impossible de retourner en arrière, des congères s’étaient entassées sur des centaines de mètres. Et la tempête ne paraissait pas devoir finir, la météo restait pessimiste. Ils prenaient celle des Panaméricains de Queen Mary Station, la capitale de la Province Antarctique.
— Oh, désolée… Tu n’y parviens pas ?
— Il faut tirer dedans aux missiles, dit-il. Mais je dois calculer les effets de l’explosion. Si seulement je pouvais reculer d’une centaine de mètres.
Vers la fin de la nuit il expédia deux missiles moyens et l’iceberg vola en éclats. Sous le choc la lourde locomotive recula de plusieurs mètres.
Il put herser les morceaux mais constata que les rails étaient tordus. Il dut les découper au laser, les soulever pour les rejeter à côté et en établir d’autres en résine. Il ne l’avait jamais fait, mais se souvenait que son copain Bibi, le directeur de cirque, avait établi une bonne longueur de voie avec de la résine bactérienne. Celle-là n’était pas de même origine mais il réussit à rétablir la liaison et peu après ils roulaient vers le Nord-Est.
Plus loin c’était un très long tunnel sous la banquise, qui permettait d’éviter les entassements de congères mais Gus s’en méfiait. On disait que les tunnels de glace restaient toujours dangereux, sauf lorsqu’ils étaient gainés. Or celui-là ne l’était pas. Ils roulèrent très lentement pour ne pas ébranler la voûte.
— Nous sommes à quelle profondeur ? demanda Yeuse.
— Dix mètres.
Elle frissonna. Si jamais la voûte s’affaissait ils ne s’en sortiraient jamais, même avec cette locomotive réputée. Elle vit réapparaître avec joie le jour pâle de cette zone.
— Nous avons encore pas mal de chemin à parcourir, dit Gus, mais on dirait qu’il y a moins de congères.
Ils roulaient dans une tranchée assez profonde. Cela rappelait quelque chose à Gus, mais il ne savait trop quoi.
— Les congères suivent toujours les mêmes couloirs, paraît-il, ici on n’en voit pas. C’est juste de la glace rejetée par les chasse-neige qui accumulent ces murailles de chaque côté.
Sur le 40e, ils pourraient éventuellement rouler plus vite, mais ne rencontreraient-ils pas d’autres dangers ? Le puissant armement de la locomotive impressionnerait certainement les pirates qui cherchaient leur butin à bord des Voiliers du Rail, mais Gus pensait à une infinité d’obstacles.
— Je vais faire du café, annonça Yeuse. Tu mangeras quelque chose ?
— Pas pour le moment.
Il avait la gorge trop serrée. Elle allait franchir la porte de la passerelle lorsque soudain la machine ralentit fortement. Brutalement, même. Gus jura :
— Qu’est-ce qui lui prend ? J’ai l’impression que sa conduite m’échappe.
La locomotive s’arrêta complètement. Yeuse revint à son poste. C’est alors que la voix de Kurts s’éleva :
— C’est bien Kurts que vous entendez. J’ai laissé un émetteur avec l’enregistrement de mon message. Ce système ne peut se déclencher que si les conditions sont réunies. Par exemple si le même système monté sur ma locomotive se met à l’unisson avec lui. Il y a aussi un code dans le cas où ma locomotive serait détruite… Je ne sais qui vous êtes mais vous arrivez près du but que vous recherchez. Encore un peu de patience et vous roulerez bientôt en direction de Concrete Station.
Yeuse était dans l’impossibilité de dire un seul mot. Gus réalisait soudain :
— Les bordures de congères, comme dans le récit de Lyaron le chasseur de phoques dans la revue Seal… L’aiguillage est enfoui quelque part dans le coin.
Fin du tome 30